D’Aurore à George

Autour de George Sand


Pour le Jumelage des lycées George Sand nous avons eu la chance de pouvoir offrir aux 120 élèves réunis à La Châtre à l’occasion du bicentenaire de la naissance de George Sand, une création théâtrale en avant-première.

Entre Laure Mandraud et moi c’est l’histoire d’une amitié née il y a déjà quelques années, à propos d’un précédent spectacle qu’elle avait monté : L’Île des esclaves de Marivaux. Le professeur de français que je suis avait fait étudier la pièce cette année-là à ses élèves, et retrouvait dans le travail du metteur en scène le respect de toutes les subtilités d’un texte dont l’ambiguïté est le charme principal. Nous avons la même sensibilité, la même façon d’approcher un texte littéraire. Nous partageons le même goût des beaux textes.

A une époque où la mise en scène cherche souvent avant tout l’originalité à tout prix, et débouche parfois sur des élucubrations intellectuelles délirantes et assez navrantes pour lesquelles le spectateur doit se « masturber le cerveau » afin de les décoder, Laure, elle, s’attache à d’autres valeurs : le respect et l ‘amour du texte, l’intériorité efficace de l’interprétation des acteurs, la sobriété des décors et la recherche des costumes ; tout cela au service, non de sa gloire personnelle, mais de l’auteur dont elle se fait la fidèle interprète.

Pour «D’Aurore à George», elle a évoqué dans une série de quinze tableaux, le parcours de celle qui, avant d’être George Sand, s’appelait Aurore. Elle dit elle même : « Nous racontons comment le génie d’écrivain d’Aurore est né d’une urgence intérieure, d’une nécessité de se lancer à corps perdu dans le tumulte du monde ».

Et pour ce faire : deux comédiens , en tout et pour tout… mais quels comédiens !

 

Laetitia Benasouli incarne deux George Sand : Aurore adolescente et George à 27 ans, au moment où elle se lance dans l’écriture. Quant à Huber Chevalier il réussit le tour de force de jouer à lui seul six rôles : Pierret, un fidèle ami des parents d’Aurore, Hippolyte, le demi-frère, élevé avec elle à Nohant, Deschartres, leur précepteur qui fut aussi celui du père, Casimir Dudevant, le mari, Charles Meure, un ami et complice, et enfin Jules Boucoiran, le précepteur de son fils Maurice.

Dans les deux cas : numéros d’acteurs ! Hubert Chevalier réussit à être crédible dans tous les personnages et Laetitia Benasouli est aussi vraisemblable en adolescente qu’en jeune adulte fraîchement émancipée. Et le spectateur ne perd pas le fil de cette « histoire d’une vie » qui nous est contée avec des extraits puisés dans l’autobiographie, mais aussi dans Indiana, Lettres d’un Voyageur et la correspondance de l’écrivain. La pièce est une juxtaposition de moments de vie, tissant un patchwork harmonieux d’instants, d’étapes importants, éclairant la personnalité et l’œuvre de celle qui fut tellement plus qu’une simple romancière.

Au début nous sommes en 1831, dans l’appartement du quai Malaquais ; George Sand fête ses 27 ans avec Pierret ; Indiana vient de paraître. Le reste de la pièce est une succession de flash-backs évoquant les différentes crises : départ de sa mère – le Dieu Corambé – l’opposition à Deschartres qui voulait faire d’elle une future propriétaire terrienne – désir d’écriture et élans mystiques au couvent – mort de sa grand-mère – mariage – amour platonique pour le bel Aurélien – rencontre avec Jules Sandeau.

Une autre gageure, tout aussi éblouissante que celle du cumul des rôles par les comédiens, c’était de choisir dans cette énorme somme de documents que représentent Histoire de ma vie et la Correspondance. Laure Mandraud a su trouver les extraits suffisamment évocateurs et explicites pour donner de l’écrivain une vision juste et précise.

Pour ceux qui connaissent bien l’œuvre, le bonheur est garanti. Pour les autres, ceux pour qui cette pièce serait une première approche de George Sand, je pense que le plaisir est au rendez-vous, tant la pièce est menée avec brio et alacrité.

Et quel final ! George, en chapeau claque , fidèle à la silhouette du petit  » bousingot  » que nous avons tous en tête, descend de scène et traverse la salle dans toute sa longueur, aussi altière et désinvolte qu’elle devait l’être dans les rues de Paris qu’elle arpentait goulûment avec ses bottes de jeune homme.

Laure Mandraud a vraiment le génie de cerner un personnage à travers un costume. Je me souviens de cette performance d’évoquer avec trois comédiens tous les personnages de La Cousine Bette de Balzac, et en particulier un baron Hulot incarné par une comédienne très petite disparaissant presque dans une lourde redingote qui, à elle seule, était le personnage !

Merci à elle pour le travail qu’elle continue à faire inlassablement, et toujours avec la même passion, pour mettre en valeur les grands textes de la littérature ! J’espère sincèrement que nous aurons de nouveau l’occasion de collaborer comme nous l’avons fait pour faire jouer à mes élèves quelques extraits d’Histoire de ma Vie et d’Indiana.

En tout cas je continuerai à suivre de très près sa carrière qui mérite d’être couronnée de succès. Et que vive notre amitié !

Laure Mandraud – Prométhéâtre