Banquets des années 1980

 

1981 : Le discours de Jeanne Chartier

1982 : Le discours de Robert Malassenet

1983 : Le discours de Henri Bonard

1984 : Le discours de Émile Dervillers

1986 : Les discours de Mrs Étienne et Jacques Blanchet

1987 : Le discours de Guy Fouchet

1989 : Le discours de André Gédéon

1989 – Discours de André GEDEON

Cher Président,
Mesdames, messieurs, mes Chers Camarades,

Mes premiers mots seront pour vous remercier, Cher Président, ainsi que tous les membres du Bureau, de m’avoir fait l’honneur de me confier cette mission. Elle me fait énormément plaisir. J’imagine bien que c’est aussi un hommage à la mémoire de mon Père. D’ailleurs, quand je suis revenu, plus de cinquante ans après avoir quitté le Collège, j’ai été un peu amusé et surpris d’être toujours le fils du Principal. Mais je conçois aisément que mon Père, par ses fonctions et sa personnalité, ait laissé dans la mémoire de ceux qui l’ont connu un souvenir plus profond que celui du très jeune élève que j’étais alors.

J’ai néanmoins passé six années pleines au Collège : presque l’équivalent d’un cycle secondaire. En outre, j’y habitais en permanence, hormis quelques semaines par an ; il était véritablement mon univers. Petit à petit, je connus tous les professeurs, tous les élèves et leurs parents, tous les détails de la vie de l’établissement m’étaient familiers.

Quand arrivaient les vacances, vous rentriez tous chez vous. Moi, je prenais alors possession du Collège entier qui devenait le théâtre de mes jeux. J’en connaissais tous les recoins, de la cave au grenier, je veux dire aux dortoirs. Quoi de plus intéressant qu’une salle de classe inoccupée ! Il y a aux murs des tableaux divers, des cartes de géographie, des quantités de moulages dans la classe de dessin. La classe de physique et chimie restait, bien entendu, obstinément fermée ; elle exhalait cependant son odeur particulière de chlore et de soufre évoquée récemment dans notre Bulletin ; on pouvait voir, à travers les vitres, de bien curieuses machines d’électrostatique destinées à enseigner la physique d’un autre siècle. Certains objets merveilleux ne m’étaient pas tout à fait interdits, tels une vieille machine à écrire ou l’harmonium de Monsieur Bernay.

La situation centrale du Collège permettait d’assister aisément à tous les événements de la cité : les marchés, les frites, les défilés des corporations, les processions, avaient un observateur attentif ; je me sentais également intégré à la vie de la cité.
Ces années « 20 » furent le théâtre de beaucoup des grands événements techniques ou humains du siècle ; les magazines d’aujourd’hui se plaisent à les rappeller Quelle tristesse à la disparition de Nungesser et Coli… Quel enthousiasme et quelle admiration à l’arrivée de Lindbergh au Bourget.

Ce furent aussi les débuts de la radio, (on disait alors la T. S. F…. Un jour, les grands élèves, sous la direction de leur professeur de physique, Monsieur Fabre, mirent au point un petit récepteur, dans la cour aux sycomores. Une longue antenne était tendue entre une fenêtre du 2ème étage et un arbre du fond de la cour. Comme j’assistais, très intrigué, au réglage de ce mystérieux appareil, on me mit sur la tête un casque avec des écouteurs : j’entendis une voix et quelques notes de musique : c’était Radio-Tour-Eiffel, et je venais d’entendre la T. S. F. pour la première fois.

En juin 1930, il y eut une grande manifestation sportive à La Châtre. Les Moniteurs de Joinville étaient venus avec leur chef pour exécuter diverses démonstrations.
La veille au soir, au « Théatre Municipal », -devenu le Cinéma « Lux »-, conférence avec projection cinématographique. Des extraits des derniers Jeux Olympiques étaient présentés ; bien évidemment, il s’agissait de ceux qui avaient eu lieu, en 1928, à Amsterdam. La grande compétition, le lendemain, était une sorte de parcours du combattant auquel participaient quelques élèves du Collège, les plus talentueux, très encouragés tous leurs camarades. Le clou, qui terminait la journée, était un lancement collectif de javelot par tous les moniteurs de Joinville. Les javelots se plantaient élégamment à des distances de plus en plus longues. Le grand champion devait lancer le dernier ; son javelot plana au-dessus de tous les autres déjà plantés, soutenu par une rumeur admirative. Mais celle-ci se transforma bientôt en cri d’angoisse car le javelot se dirigeait vers la tribune érigée en bout de terrain, bien à l’ombre devant un rideau d’arbres et où l’on avait placé toutes les notabilités. Heureusement, l’engin termina sa course en venant se ficher au pied même de la tribune. Le champion se nommait Courtejaire.
Cette anecdote comporte un épilogue. Une trentaine d’années plus tard, Courtejaire était toujours à l’Institut National des Sports, dans le Bois de Vincennes, dispensant sa science et exerçant en plus des fonctions de concierge.
Mon activité de dirigeant sportif, qui fut longtemps un hobby, m’amenait de temps en temps à l’Institut National des Sports. Je décidai, un jour, d’aller voir Courtejaire pour lui dire que je l’avais vu et admiré bien des années auparavant, et j’évoquai sa démonstration dans une petite ville du Berry. Il m’interrompit très vite en s’exclamant : « C’était à La Châtre, le jour où j’ai failli planter mon javelot dans la tribune des officiels ». Lui aussi se souvenait…

Un soir de l’hiver 1930, nous quittions La Châtre : mon père était nommé à Vic-Bigorre à côté de Tarbes. C’était pour moi un événement considérable. Je découvris une autre France, la France du Midi, et tout d’abord, la longue chaîne des Pyrénées recouvertes de neige que l’on voit si clairement en hiver.
Puis le temps a passé ; après le Collège de Vic-Bigorre, ce fut pour moi le Lycée de Toulouse qu’on n’appelait pas encore le Lycée Femat. Les amitiés qui se nouent sur les bancs d’une même classe sont, vous le savez, bien assez fortes ; il s’y ajoute, après un long temps, la curiosité de se revoir. Nous étions environ quarante en 1° A et nous avons réalisé une chose assez originale. Trente ans après le « premier Bac », grâce aux efforts de quelques-uns, nous avons pu nous retrouver une trentaine pour un premier repas. Depuis lors, cela fait 25 ans, un repas a lieu chaque année et une vingtaine sont présents. Nous avons invité plusieurs de nos anciens professeurs ; certains ont pu se joindre à nous ; nous en avons tous été très heureux. Aujourd’hui encore, notre ancien professeur de maths assiste à ce repas..: nous allons honorer ses 90 ans. Puis-je vous rapporter le mot de notre professeur de lettres ! Il se réjouissait de trouver dans son ancienne classe : trois ministres, deux ministres du culte et un ministre de la République. Deux d’entre nous, en effet, issus de cette classe laïque étaient devenus curés et un autre fut pendant quelque temps ministre de la Ve République.

En médecine, outre l’exercice professionnel, je devais retrouver les problèmes de l’enseignement. L’enseignement, qui a passionné mon père toute sa vie… Mon père eut souhaité, pour moi, une carrière de professeur de Lettres.
L’enseignement de la médecine louvoie entre dispenser une culture et assurer une formation technique professionnelle. Les connaissances médicales et les possibilités thérapeutiques évoluant sans cesse, il faut sans cesse adapter l’enseignement. C’est sans doute la raison pour laquelle depuis des années les réformes se succèdent sans interruption.

J’ai assisté à la modernisation de l’enseignement avec l’introduction de toutes les techniques audio-visuelles, et aussi l’entrée du calcul statistique et de l’informatique.
En raison, d’une part, des implications judiciaires, elles sont devenues très lourdes aux Etats-Unis et risquent de le devenir en Europe, et, en raison, d’autre part, des implications économiques (le prix de la santé), il faut que l’enseignement soit rigoureux et efficace. Si les étudiants passent du temps à évaluer leurs connaissances, il faut aussi que les enseignants évaluent l’efficacité, la fiabilité de leur enseignement. On a vu apparaître de nouveaux spécialistes : ceux de la docimologie et des techniques d’enseignement. Les méthodes utilisées par de grandes compagnies aériennes américaines comme la Pan-Am pour la formation de leur personnel ont inspiré certains. Mais il ne faut pas oublier que les hommes restent les hommes et qu’il ne faut jamais se départir d’une notion fondamentale : le bon-sens.

A travers toutes ces occupations et préoccupations, le souvenir de La Châtre et de son Collège ne s’est jamais effacé, pas plus que le désir d’y revenir.
Ma première visite eut lieu près de 21 ans après mon départ. Rien n’avait beaucoup changé, ni dans le Collège, ni dans la Ville. Je me suis présenté à Monsieur Bressolette, le Principal d’alors. Il fut surpris, mais fort aimable. Par la suite, tout voyage en voiture, à Paris ou dans le Centre, à Bourges ou à Nevers, par exemple,, était l’occasion d’un détour par La Châtre. Je fis connaître ainsi le Collège, la Ville et ses environs à ma femme et à nos fils. Je pus apprécier les transformations qui s’opéraient.

La dernière de ces visites fortuites fut en 1979, dix ans déjà !, l’année où à avait été organisée l’exposition Schubert dont j’ai précieusement conservé la belle affiche et le catalogue. Ce fut l’occasion de renouer connaissance avec notre Vice-Présidente, Jeanne Chartier, qui comprit bien toute la charge affective de ces visites. Elle me permit d’établir des relations régulières avec l’amicale et les circonstances me laissèrent le loisir de venir assister aux réunions annuelles. Il y avait eu, cependant, une tentative antérieure, car j’ai conservé dans mes archives un bullet-dépliant de 1959-1960 : Georges Raveau était le Président et Roger .Allorent avait présidé le banquet annuel. On y parlait déjà de la construction du nouveau Collège, futur Lycée George Sand.

Mais il ne faut pas vous empêcher plus longtemps de déguster ce dîner. Ces quelques mots avaient pour but de vous convaincre que je suis bien, comme Vous Tous, un Ancien Elève du Collège.
Je vous souhaite bon appétit et vous remercie de m’avoir écouté.

André Gédéon

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1987 – Discours de Guy FOUCHET

 ARTICLE DE PRESSE L’Echo du Berry – jeudi 16 juillet 1987


Discours prononcé par Guy Fouchet au banquet des anciens élèves

Nous avons publié la semaine dernière un bref compte rendu du dîner amical des anciens et anciennes élèves du collège qui s’est tenu le samedi 4 juillet à Sainte-Sévère. Ce banquet était présidé cette année par Guy Fouchet, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, licencié en Droit, diplômé d’Etudes Supérieures de Droit Public et Diplômé d’Etudes Supérieures de Sciences Economiques, actuellement directeur général du C.I.C. À Londres.

Comme il est de tradition il évoqua avec humour ses années de lycéen et c’est avec plaisir que nous publions ci-dessous, in-extenso, son propos qui fait revivre de nombreux professeurs encore présents dans la mémoire de plusieurs générations.


Monsieur le Président et cher Jean-Louis Boncoeur,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs et chers camarades.

C‘est assurément avec beaucoup d’émotion que je suis amené à prendre la parole publiquement devant mes anciens camarades du collège George Sand.
Emotion d’autant plus grande que mon cher papa a été pendant trente ans, le Trésorier de l’Amicale des anciens élèves et qu’aujourd’hui, c’est toute ma famille qui se trouve honorée.
Je tiens à remercier tous ceux qui ont bien voulu nous faire le plaisir de venir nous retrouver ce soir et je dois vous transmettre les excuses de Mireille (mon épouse Mireille Vigroux) ancienne élève du collège qui, en ce moment même, honore des engagements que nous avions pris antérieurement pour une oeuvre de charité ; elle regrette de ne pas être des nôtres et vous adresse ses plus amicales salutations.

Il me faut maintenant sacrifier à la tradition, qui est d’évoquer mes souvenirs du Collège, et c’est très volontiers que je me soumets à cet exercice. De mes sept années passées au collège se dégagent deux figures qui ont impressionné les élèves de ma génération.

    • M. Bressolette.

    Les succès obtenus sous son magistère doivent beaucoup à l’autorité naturelle qui émanait de sa personne, empreinte d’une grande solennité, qui masquait en fait beaucoup de bonté et n’excluait pas un sens certain de l’humour. Il nous en imposait et il nous a appris les clefs de la réussite le travail, le goût de l’effort, la rigueur intellectuelle et morale, vertus sans lesquelles l’échec est assuré. Beaucoup de nos lycées d’aujourd’hui gagneraient à retrouver des chefs d’établissement de cette trempe.

  • Le Principal était assisté d’un surveillant Général d’une chaleureuse bonhomie : «  Machut » alias Jean-Louis Boncoeur, dit Edouard Levêque !
    Le personnage de « Machut » et la personnalité de Jean-Louis complétaient admirablement l’action du principal. Le « Surgé, Professeur de dessin », nous en imposait aussi par l’étendue de ses dons artistiques et son sens inné de la communication.

Aux côtés de ces deux figures, un corps de professeurs exemplaires ; je ne pourrai les citer tous ; que ceux dont j’omettrais les noms veuillent bien m’excuser.

  • Charles Appère : brillant pédagogue qui fût LE MAITRE de nos classes de 4e et 3e – et qui m’a transmis le virus du jeu d’échecs.
  • Raymond Delagoutte, excellent professeur de lettres, qui aimait le sport et encourageait les sportifs.
  • L’élégant Jean Poupat et le paternel M. Collé, ce dernier nous faisant comparer le rythme de la phrase anglaise à la charge de la Brigade Légère ;
    A tous les deux, je dois – et je les en remercie – de parler l’anglais, certes avec un accent bien de chez nous, mais qui, paraît-il, ravit les « petites anglaises ».
  • Der Sturm Birklé dont la massive silhouette cachait mal la sensibilité et le grand coeur ; il est désormais célèbre pour son… « Grandjean, rappelle-moi ton nom ! »
  • Léonce Coq, qui nous faisait égrener les dates essentielles de notre histoire et commentait souvent ses réponses à nos questions rarement pertinentes, par un « Oh ! vous savez mon petit ! », très paternel lui aussi.
  • Madame Marin, terreur de ma classe de 5e, qui malicieusement m’a infligé en Terminale deux heures de colle, avec pour pensum, d’apprendre une fable de La Fontaine : « Le Chat, la Belette et le petit Lapin… »
  • Monsieur et Madame Rolland, professeurs de physique qui formaient le couple « Joule ».
  • Monsieur Pourret, qui avait collé un potache pour le motif suivant : « Prend le couloir pour une piste de vélodrome »
  • Jean Aussure, sous la tutelle de qui nous avons défendu les couleurs du Collège dans les compétitions sportives.
  • Dédé Rousseau, mathématicien de qualité, mais incapable de diriger… (non pas la révolution, mais) le chahut pour mieux le contrôler .
  • Paul Beudart, enfin qui nous annonça, dès notre entrée en sixième, le lancement prochain des premiers satellites et l’envol du premier homme sur la lune.
    S’appuyant sur une mémoire prodigieuse et n’utilisant que quelques notes inscrites sur un fin papier de soie qu’il tirait délicatement de sa poche, il débitait tout à la fois : son cours de philosophie, le catalogue de la Manufacture de Saint-Etienne, Faust en Allemand et à l’envers, voire en « verlan », et de nombreuses histoires sur les exploits de sa jeunesse (notamment avec Lulu sur sa moto) et aussi sur ceux de son « alevin de fils », sans oublier le compte-rendu de la presse locale après sa victoire dans le « Premier Pas Dunlop » cycliste : « A la Forge de l’Isle la sélection s’opère, Beudart passe en tête ». Rendons hommage à son talent, toute la classe fut reçue.

L‘ambiance du collège était renforcée par le fait qu’à ces traits, propres à chaque professeur, que se transmettaient, les élèves d’année en année, s’ajoutaient des occasions exceptionnelles de mixage interclasses ou de rencontres entre professeurs et élèves, telles que les fêtes du collège et les voyages organisés (pour visiter les Châteaux de La Loire, la Savoie, la Baule, etc…).
La grande manifestation de mon époque fut la production, par la troupe des « Gays Escholiers », du Bourgeois Gentilhomme, qui permit à Jean-Louis Boncoeur d’exprimer une nouvelle fois, après 1″Avare et Le Malade Imaginaire, ses qualités de metteur en scène et de comédien dans le rôle de Monsieur Jourdain.

Pour ma part, je jouais le rôle de Cléonte (un peu pâlot !), qui soupirait auprès de la délicieuse Lucile (Françoise Charlier). On y distinguait aussi :

  • Madeleine Bobas et Jean Robinet, qui obtinrent un succès mérité en servante et en valet.
  • Alain Bilot, qui était l’amant d’une marquise… à qui Monsieur Jourdain aurait tant voulu déclarer sa flamme : « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » ou bien « Mourir vos beaux yeux, belle Marquise d’amour me font »
  • Philippe Cayré, non pas en maître… tailleur, mais en maître d’armes, le maître tailleur étant Bernard Guesnier.
  • Etienne Momot en petit marmiton.
  • Guy Piat, inoubliable premier laquais.
  • Quant à Bernard Chantemilant ? que croyez-vous qu’il fît ?… Eh bien ! il chanta !

Un des temps forts de la pièce était, sur une chorégraphie de Marguerite Fouchet, le ballet d’odalisques.
Chaque soir, le ballet a été « bissé » et je pouvais le contempler, très à l’aise, tout déguisé que j’étais en Grand Mamamouchi installé sur un trône et n’ayant eu que quelques mots à prononcer, dont je me souviens toujours : « Ambousahim oqui boraf, Jordina Salamalequi ». C’est à cette époque qu’a dû naître, je crois mon goût pour l’Orient et la danse orientale…
Ah ! oui vraiment, au collège George Sand nous étions de « Gays Escholiers » !
Comme vous pouvez le constater, j’ai été très marqué par mon passage au collège de La Châtre !
Et, il est vrai que je reste très attaché à ma ville natale, bien sûr pour des raisons familiales très fortes, mais aussi parce que j’y ai gardé de nombreux amis, de toutes les générations, avec qui j’ai des souvenirs communs.
C’est pourquoi, je voudrais reprendre cette phrase du beau poème, tout simple, de Roger Rémond :

« Et dans mon coeur, j’ai conservé De ce bon « bahut » à La Châtre Le souvenir le plus sacré ».

Guy Fouchet – 1987

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1986 – Discours de Mr Jacques BLANCHET

Mr le Président, Mesdames, Messieurs,

Le Collège de La Châtre, qui ne s’appelait pas encore Collège George SAND, était froid et austère, et tenait le milieu entre le couvent et la prison.
Le régime y était spartiate ; la vie y était monacale ; la règle sévère et observée sans faille, sous la haute surveillance d’un père abbé totalement laïc : le Principal, Monsieur Bressolette, qui, avec une assiduité surprenante contrôlait toutes nos allées et venues, les mains derrière le dos ; il avait une curieuse façon de se balancer sur ses pieds. Il était craint de tous ; je garde de lui un souvenir ému.
L’atmosphère n’avait rien de convivial. Les potaches (« cet âge est sans pitié disait déjà La Fontaine) … n’étaient pas tendres entre eux …
Les internes, pour partie enfants de la campagne, pour partie enfants de l’Assistance Publique n’étaient pas heureux. Il n’y avait pas de haine entre eux, mais de l’inimitié : de cette inimitié que sécrètent par dépit tous les êtres qui n’ont pas dans leur vie leur part d’amour et de bonheur.
Il n’y avait pas de cruauté, mais plutôt une grande misère, autant affective que matérielle, qui s’exprimait de temps à autre dans des flamblées de violence vécues comme des psychodrames, à la dimension de l’établissement tout entier.
Et puis la routine reprenait le dessus, ponctuée par la cloche que la concierge faisait sonner pour rythmer les différents travaux du jour.
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La ville de La Châtre se remettait mal d’une longue période de privations qui n’était d’ailleurs pas encore terminée…
Nous étions en 1947. Elle n’avait pas connu véritablement la guerre, sinon par ouï-dire.
Elle l’avait vécue par procuration et avait fait simplement l’expérience de ce qu’on n’appelait pas encore la guérilla, mais le maquis.
Les joies de la libération n’avaient pas effacé le souvenir des drames individuels, des actes de bravoure inutiles, des divisions familiales dans une France coupée en deux (dans tous les sens du terme).
Elles n’avaient pas effacé le sentiment de honte éprouvé lorsqu’on avait appris la dimension de l’holocauste du peuple juif ; chacun, de près ou de loin se sentait coupable.
« Depuis lors, comme le dit Chardonne, La Châtre ne connaît plus que des maux éternels ».
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Le Collège de La Châtre d’hier ne ressemblait pas aux Lycées d’aujourd’hui : ces immenses usines à fabriquer des bacheliers. Les élèves étaient peu nombreux. Ils avaient le sentiment d’un privilège : celui de pouvoir accéder à la culture, ce qui n’était pas encore possible pour tous.
Cet avantage, cette chance, dont ils étaient conscients, ils s’efforçaient d’en tirer parti, de ne pas la gâcher. Depuis qu’on a mis la culture à la portée de tous et de toutes les bourses, elle a perdu beaucoup de son prestige et beaucoup de son attrait. C’est un droit ou un dl… comme on voudra.
Je me remémore souvent le cas de Michelet, fils de boulanger, qui lisait en s’éclairant à la lueur du four où cuisait le pain. Pour lui, apprendre n’était pas une épreuve, c’était un plaisir. Il avait le sentiment de participer intellectuellement à un autre monde peuplé de héros, d’hommes et de femmes célèbres qui avaient fait l’histoire.
Par l’esprit, déjà, il s’était élevé au-dessus de sa condition.
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Mais le Collège de La Châtre où j’ai passé 7 ans de mon existence, m’a appris autre chose. Il m’a appris que l’effort n’est pas séparable d’une certaine austérité. Il faut, me semble-t-il, lutter de toutes ses forces contre les effets émollients d’une vie trop facile qui ne demande plus d’efforts, et donc n’apporte plus rien…
Pour recevoir il faut d’abord beaucoup donner. L’homme déchoit quand il se laisse aller ; le confort des années présentes est une sorte de poison. Notre pays, comme bien d’autres avant lui, sombrera tôt ou tard dans la décadence et la déchéance s’il s’abandonne à la facilité qui le guette.
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Mais je me rends compte que mes exhortations sonnent comme des avertissements. Vous savez que dans l’antiquité, on massacrait les prophètes de malheur, c’est à dire ceux qui avaient, dans l’adversité, le tort d’avoir raison ! Je ne voudrais pas être de ceux-là, même si mes cinquante ans passés et l’expérience qui s’y rattache me donnent non seulement le droit de prophétiser, mais aussi celui d’avoir raison.
Monsieur le Président nous a confié, à mon frère et à moi-même la délicate mission de co-présider ce dîner d’anciens élèves. Nous l’en remercions….
Mais surtout, ne voyez pas dans la carrière de mon frère et la mienne des itinéraires exemplaires.
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Les bons, les vrais exemples ne sont pas ceux que l’on reçoit mais ceux que l’on donne.

Jacques Blanchet


1986 – Discours de Mr Etienne BLANCHET

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Monsieur le Président a bien voulu considérer que mon frère et moi-même avions atteint un certain degré de réussite sociale et de notoriété locale. Nous en sommes flattés.
Personnellement je reste très prudent. Comme disaient les Romains, la roche tarpéienne n’est pas loin du Capitole ; la fortune est une fille capricieuse, volage et inconstante. Tantôt elle courtise les uns ; tantôt elle accorde ses faveurs aux autres et abandonne les premiers sans ménagements.
Ce qui est frappant dans une situation comme la mienne, c’est son extrême vulnérabilité. Le contexte économique change en permanence et personne ne sait de quoi demain sera,fait. Telle circonstance qui pouvait jouer favorablement devient soudain néfaste.
Il faut en permanence prévoir l’imprévisible, et jamais dans mon cas, personne ne -peut dire qu’il a atteint définitivement son but et qu’il peut ainsi se reposer sur ses lauriers.
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L’itinéraire de mon frère et le mien sont aussi différents qu’on peut l’imaginer et aussi opposés que peuvent l’être le secteur public et le secteur privé. Servir l’état est une noble cause puisque cela consiste à servir l’intérêt général.
Mais il serait erroné de penser qu’une entreprise privée ne sert qu’elle même. A sa façon elle travaille pour les autres ; pour ses employés qu’elle rémunère, pour ses fournisseurs qu’elle paye, pour la collectivité à laquelle elle apporte ses contributions financières sous les formes les plus variées. De sorte qu’au total et dans des conditions différentes, tout le monde travaille pour tout le monde. Comme le disait fort justement l’historien Philippe ARIES « Désormais on peut affirmer qu’il n’y a pas de vie privée indifférente aux cas de conscience de la morale publique ».
Pour Stendhal se posait la question du rouge ou du noir ; du rouge des armées ou du noir du clergé. De nos jours se pose la question du public ou du privé. Le public est considéré avant tout comme pourvoyeur de sécurité. On y fait carrière au service de la nation. Mais depuis peu la petite entreprise privée est glorifiée, celle qui crée des emplois, qui fait vivre des salariés, qui dynamise le tissu local économique et social. De sorte que l’Etat lui-même finit par se demander s’il n’a pas plus besoin de ses entrepreneurs (dont il souhaite accroître le nombre) que de ses fonctionnaires (dont il ne cesse de réduire les effectifs).
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Ainsi les valeurs sociales se modèlent-elles en fonction des besoins fondamentaux de la collectivité.
Mais ce ne sont là que des considérations à posteriori.
Comme les « bessons » de la Petite Fadette, l’un de nous a décidé de vivre au pays, l’autre de le quitter. Peut-être tout simplement parce qu’il n’y avait pas de place pour deux. Ce sont là des choix qui ont gouverné une vie (ou plutôt deux). Il n’y a rien à regretter ce serait de toute façon trop tard. Qui a fait le bon choix ?
Cela n’a pas de sens car l’importance réside moins dans les choix qu’on opère que dans la façon dont on les assume et dont on les vit.
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L’important c’est aussi l’amour de notre pays natal que mon frère et moi-même partageons et sur ce plan nos destins ne sont pas parallèles ; ils se rejoignent. Le pays où je vis est le plus beau, pour une raison bien simple ; c’est parce que c’est le mien. Ma vie consiste à conjuguer dans mon pays, sur place, le passé avec le futur, tout en gérant le présent dans des conditions acceptables. Le passé, c’est l’histoire de ce pays, ce sont ses paysages qui n’ont pas changé depuis de siècles ce sont ses villages groupés autour de leur église, ce sont les moeurs de ses habitants que Jean-Louis Boncoeur a su immortaliser…
Le futur, c’est le bouleversement économique et social, c’est l’énorme mutation mondiale qui fait que, par exemple, chaque semaine des camions Blanchet sillonnent une partie de l’Europe.
Le présent, ce sont les difficultés de chaque jour qu’il faut résoudre pour permettre à une activité moderne de se développer dans un cadre ancien. C’est un pari qui, comme tous les paris n’est jamais gagné d’avance pour personne… Ce n’est pas le pari de Pascal car il n’y a pas tout à gagner et rien à perdre

Etienne Blanchet

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1984 – Discours de Émile DERVILLERS

 

 

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1983 – Discours de Henri BONARD

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1982 – Discours de Robert MALASSENET

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1981 – Discours de Jeanne CHARTIER

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